Un réel pour le XXI sciècle
ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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LE RÉEL AVEC DES ARTISTES
Claude-Luca Georges
Regards

Michèle Simon : Claude-Luca Georges, votre recherche et vos œuvres délicates associent à la fois objets abstraits et figuratifs autour de lieux habités, interprétant mythes, tableaux qui vous ont marqué ou moments d'histoire personnelle. Pourriez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez choisi de travailler ainsi et comment vous concevez la question du regard dans vos tableaux ?

Claude-Luca Georges : J'aime à la fois la peinture abstraite de Jackson Pollock, de Mark Rothko ou de Pierre Soulages et celle de peintres au rendu très respectueux, Caravage notamment, dont Jacques Lacan évoque, à propos du Bacchus des Offices, « les raisins admirablement reproduits ».
Comme le remarquait Clément Greenberg, partisan majeur de la peinture moderniste, l'abstraction permet une peinture plus physique alors que le tableau illusionniste a toujours un effet plus ou moins « dramatique », émouvant, qu'il condamne. Disons que je suis pour le Greenberg de la peinture plus physique et contre celui de la déshumanisation de la peinture.
Ce qui humanise la peinture, c'est le regard. Alors que l'œil, dont Jacques Lacan pointe la voracité, est aveugle au monde, le regard le fait naître dans la multiplicité signifiante de ses identités. Je voudrais ne rien sacrifier de l'œil comme du regard. J'emploie le mot œil, me semble t-il, dans le sens que lui donne Jacques Lacan. Ce n'est pas le cas pour le mot Regard pris ici dans l'acception générale de vision distinc­tive, focalisante, qui génère du sens.

M.S. : Que diriez vous de la distinction fondamentale que Kant faisait entre l'« objet » comme n'étant que du « représenté » et la « chose » qui qualifie le réel en tant qu'il est au-delà de la représentation, non représentable ?

C-L.G. : C'est à partir de ce caractère du réel sur lequel le Lacan de L'éthique de la psychanalyse s'accorde avec Kant, que j'en perçois la présence dans la peinture. Le hors sens des formes et des couleurs qui vaut vraiment pour le peintre surgit comme indépendamment de sa volonté, cela lui arrive comme s'il trouvait sans chercher, ainsi qu'en témoigne Picasso. Ce qui se passe là, on ne peut, comme disent les jeunes aujourd'hui, « le gérer ». Dans la tradi­tion chinoise, le peintre est agi.

M.S. : Comment concevez vous, alors, le réel dans vos tableaux ? Est-ce dans la matérialité du tableau, l'absence de profondeur, ou la matière peinture ?

C-L.G. : Bien sûr, c'est à travers sa corporéité offerte à l'œil que l'œuvre introduit du réel, corporéité non seulement des aspects de la matière mais aussi d'un espace qui n'est pas la profondeur ouverte par le regard au-delà de la surface peinte, mais l'espace aveugle dans lequel s'éprouve la liberté du corps. C'est l'espace dont parle Pierre Soulages en disant : « je suis dedans, dans l'espace du tableau ».
Si l'abord du réel dans L'éthique de la psychanalyse permet de dire qu'il y a du réel dans la peinture, la pensée du dernier Lacan pour qui la jouissance du réel n'est pas nécessairement traumatique, permet mieux, me semble-t-il, d'approcher la source profonde de la peinture.
Mais cette pensée m'amène à poser la question de savoir si, dans la peinture, le réel ne relève que de l'œil ou de la rencontre de l'œil et du regard. À mon sens, le pouvoir de la peinture naît de cette rencontre, de la superposition artificieuse du champ harmonisé, sans rupture, de l'œil et du champ de failles du regard. Je crois que cette rencontre se produit toujours, plus ou moins vive, dans la peinture.
Le Bacchus des Offices, si respectueux de la mimésis, est pourtant tissé de continuités et de correspondances abs­traites. Mais ceci est une autre histoire. À l'autre pôle, les œuvres abstraites mettent celui qui les regarde, par le fait qu'elles sont considérées comme des œuvres d'art, en situation d'y projeter son être.
C'est le dernier cours de Jacques-Alain Miller qui m'amène à poser cette question d'un réel de la rencontre de l'œil et du regard. Mais ai-je bien compris comment il faut entendre que « le réel sans loi c'est celui de la conjonction du signifiant et de la jouissance » ?
M.S. : Sur votre site internet, vous parlez de tension existentielle dans vos tableaux. Pourriez-vous développer ?

C-L.G. : Si je parle de tension existentielle, c'est pour traduire cette impres­sion où le vécu de l'œil et celui du regard en viennent à fusionner alors même que nous percevons qu'ils sont étrangers l'un à l'autre.

M.S. : Relativement à la psychanalyse, comment situeriez vous la création artistique ?

C-L.G. : La psychanalyse, qui est du coté de l'élucidation alors que l'art est du coté de la confusion, de l'amalgame de registres foncièrement coupés l'un de l'autre, peut, pour certains dont je suis, contribuer à mettre au jour et à dégager la voie de l'art.
J'ai parlé de la fusion artificieuse des registres de l'œil et du regard, mais, sur un autre versant de l'art, peuvent se fondre des registres de la vision qui, l'un et l'autre, induisent des significations. C'est par exemple chimère de Martine Bartholini qui à la monstruosité amal­game la pureté de l'hostie.

M.S : Nous allons découvrir une partie de vos œuvres lors du Congrès de l'amp sur le thème Un réel pour le xxie siècle. Qu'est-ce que ce thème vous inspire relativement à la création artistique ?

C-L.G. : La Modernité picturale abordait le réel en dévalorisant le regard. Depuis les années soixante du siècle dernier elle s'est effilochée, laissant émerger un courant où il s'agit de concilier le goût de la mimésis, revenu avec la photographie, et le désir de conserver la grande liberté de l'œil dont nous avons joui grâce à la Modernité. Je suppose que ce courant irriguera très largement le xxie siècle. Il me rappelle celui qui, au xvie siècle, naquit de la confluence entre les formes de la Renaissance et celles du Moyen âge, les unes privilégiant le regard, les autres l'œil, comme le montre Clément Greenberg qui pointe leur parenté avec les formes de la Modernité.