« Pardon Monsieur, vous n'auriez pas une pièce ? »
Parfois je réponds, d'autres fois je passe mon chemin. C'est selon ma disponibilité, mon désir de rencontre, de dépasser mes inhibitions.
Là, je m'approche :
« Vous n'avez-pas froid assise sur le sol ? »
— On s'habitue.
— Mais après la journée, vous allez où ?
— Je suis au foyer Sonacotra.
Elle me raconte un peu sa vie sur le bitume, ne se plaint pas. Elle a un visage paisible, souriant.
Et soudain, elle subvertit la situation :
— Et vous vous faites quoi ?
— Je travaille… comme psy.
— Ah oui vous écoutez les autres ! Ça ne doit pas être toujours facile ! Et quand vous n'êtes plus en exercice, vous arrivez à faire la coupure facilement ? Par exemple, quand vous êtes avec les vôtres ? »
Voilà, elle crée une situation inédite ! Elle se positionne autrement ; elle n'est plus la mendiante, elle s'intéresse à moi, me pose des questions qui parfois touchent à l'intime. Elle me déstabilise.
Je la quitte en la rétribuant pour son acte. Elle m'épargne l'horreur d'être charitable.
Thierry Nussberger
Metz, Moselle