Un réel pour le XXI sciècle
ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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Dominique Quadri
mathématicienne
Sac-à-dos quadratique

Dominique Quadri est Maître de conférences à l'université Paris Sud XI, Docteur en Sciences et techniques de l'Université Paris Dauphine, spécialité : programmation mathématique.

Dominique QuadriLes petites boîtes noires

J'ai longtemps pensé que les mathématiques allaient m'apporter des réponses au réel auquel j'étais confrontée, et que ce langage m'aiderait à décrypter le réel et les autres qui m'entourent.

Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours été attirée par les mathématiques. Ce langage, abscond pour certains, ne m'a jamais été étranger. Il a très vite été simple à comprendre, comme s'il avait été toujours là. Je pouvais passer des week-ends entiers à inventer des exercices avec des variables x et y qui me faisaient penser à des petites boîtes noires à l'intérieur desquelles je pouvais placer tout ce que je voulais.

Mais, le réel en mathématique est-il le même réel q[EN1] u'un sujet entrevoit ?

Le réel en mathématiques

Communément, la définition du réel en mathématique est proche de celle de la réalité. Pierre Lelong évoque deux réels en mathématiques[1] : le réel perçu et le réel partagé. Le réel perçu est celui auquel on a affaire dès lors que l'on doit traiter un problème issu du « monde réel » (comme on dit en sciences) – par exemple, gérer la planification des équipages d'une compagnie aérienne, ou encore aider à traiter le combat contre la dengue. La formulation de ces problèmes en modèles mathématiques est l'étape cruciale.
 Modéliser, c'est convertir un problème concret en termes mathématiques ; c'est transformer un besoin, plus ou moins bien exprimé, en équations, en tentant de prendre en compte toute les contraintes. Par ailleurs, une fois la modélisation effectuée, l'efficacité de la méthode de résolution du problème développée par le chercheur dépendra de la force du modèle établi.

Toutefois, les mathématiques s'avèrent difficiles à mettre en pratique, la réalité étant complexe à appréhender. Comment même définir cette réalité puisqu'elle dépend de la personne qui la perçoit ? Comment la formaliser alors que la réalité varie ? Ainsi, établir un modèle unique mais général, qui prenne en compte tous les cas de la nature, est impossible. Le réel perçu met en relief un impossible.

Au-delà de cette réalité, apparaît l'autre réel dégagé par P. Lelong, le réel partagé. Face à un problème à traiter, le mathématicien doit non seulement mettre en œuvre une méthodologie de modélisation et de résolution mais également de valorisation de la démarche proposée. Cette valorisation passe par une publication dans une revue spécialisée. La stratégie de recherche publiée constitue ce que le chercheur va partager avec d'autres. « C'est là un exemple de ce réel partagé »[2], indique P. Lelong. Ainsi, une fois l'idée du chercheur mise à l'épreuve au terme de débats, de démonstrations, cette dernière deviendra un réel mathématique, « en tant qu'hors du discours qui l'a produite »[3], reprend Jacques-Alain Miller. De ce réel partagé découlent alors plusieurs sortent de réels : le dire du scientifique, des théorèmes démontrés, des axiomes (non démontrables), des modélisations, etc.

Réel lacanien et réel de la science

Le réel lacanien se distingue du réel de la science en ce qu'il fait trou. Il désigne le défaut même qui est constitutif de la structure. Le réel de la science, au contraire, est composé des constructions aptes à masquer ou à simplement contenir ce manque, ce dehors irréductible. Loin de se confondre avec celui de la science, le réel psychanalytique en serait le point limite. En ce sens, il a une fonction d'impasse : « quand on arrive au bout, c'est le bout ! […] et c'est justement ça qui est intéressant parce que… c'est là qu'est le réel»[4], dit Lacan. Il en vient ainsi à définir le réel comme étant « sans loi » et dépourvu de sens, notamment dans le Séminaire xxiii.

Alors pourquoi une chercheuse en mathématique appliquée peut-elle s'intéresser à la psychanalyse lacanienne ? J'ai envie de répondre : parce que les mathématiques et la psychanalyse lacanienne sont deux approches du réel – mais l'approche mathématique a besoin des mathèmes de Lacan et de la psychanalyse pour se décaler. Les mathématiques courent après un réel qu'elles ne parviennent pas à décrire et qu'elles finissent par créer. Ainsi, l'approche psychanalytique me semble plus emprunte de logique, en ce sens qu'elle se remet en cause sans cesse.

La quadrature du réel

Après des études de mathématiques « pures », j'ai effectué une thèse en mathématiques appliquées et informatique théorique, parce que je ressentais le besoin de pousser plus loin les mathématiques afin de passer aux applications. Or, bien entendu, aucun modèle à ce jour, n'est capable de décrire et de formaliser de manière fidèle le réel. Le réel ne s'attrape pas facilement par l'écriture mathématique du fait que de nombreuses hypothèses sont émises dans le but de rendre le modèle traitable informatiquement dans un second temps. Ce qui est drôle, c'est qu'au lieu de traiter durant mon doctorat d'applications dites réelles, j'ai traité un petit bout du réel qui se présente à moi. Je m'appelle Dominique Quadri et le sujet que j'avais choisi pour ma thèse était : « Résolution du problème du sac-à-dos quadratique en variables entières ». Je continue encore aujourd'hui à proposer des reformulations de programmes quadratiques : il s'agit de réécrire un problème initial sous une autre forme, en passant par d'autres problèmes, plus connus, déjà résolus. C'est aussi ce qui se passe avec l'analyste : plusieurs reformulations d'une chose déjà évoquée mais redite différemment plusieurs fois.

Tomber le masque

Au moment de ma thèse, je débutais mon analyse. Depuis, mon travail de recherche est marqué par cette expérience. Concernant le savant, la vérité reçoit « un masque de fer » dit Lacan[5], condition nécessaire pour qu'il opère. De mon côté, je crois que le masque de fer a été ôté. Il est vrai que l'on ne peut alors plus opérer comme avant, sans se demander à quoi sert ce que l'on produit. Comment cela va-t-il être utilisé ? Il est tout de même possible de créer mais différemment.

La science ne cesse d'écrire un réel qui lui échappe, alors que pour la psychanalyse, le réel est celui du non rapport sexuel qui « ne cesse de ne pas s'écrire », dit Lacan. La vérité comme cause échappe au régime général de la science, et le danger apparaît quand celle-ci tente de récupérer cette vérité.

Edition: Aurélie Pfauwadel


  1. Lelong P., « Le réel et les concepts en mathématiques : une stratégie de création »,actes du colloque « Le réel en mathématique », Le réel en mathématiques, Paris, Éd. Agalma, diffusion Le Seuil, 2004, actes du colloque « Le réel en mathématiques », p. 93. P. Lelong est directeur de recherche au cnrs à l'institut des mathématiques de Jussieu.
  2. Ibid., p. 94.
  3. Miller J.-A., « Un rêve de Lacan », Le réel en mathématiques, op. cit., p. 126.
  4. Lacan J., Lacan in Italia 1953-1978, Milan, La Salamandre, 1978, p. 89.
  5. Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 437.