Il s'écrit qu'avec « Au revoir là-haut »[1], Pierre Lemaitre a fait son entrée dans « la blanche »[2], mais ce pavé de réel est d'un noir flamboyant. Ce roman populaire s'intéresse au mauvais sort fait en France aux démobilisés, dans une fresque jubilatoire qui va du 2 novembre 1918 au 14 juillet 1920.
La Patrie et le Père ont foutu le camp. Le capitaine Henri d'Aulnay-Pradelle, véritable canaille, profite d'une gloire usurpée pour se livrer à un infâme et lucratif trafic de cadavres ; Albert Maillard, petit comptable, et Édouard Péricourt, artiste, se lancent dans une époustouflante arnaque aux monuments aux morts.
Albert fut enseveli dans un trou d'obus avec une tête de cheval putride ; Édouard le sauva de la mort, au prix de la moitié inférieure de son visage. Une tête de cheval en papier mâché, confectionnée par Édouard à sa demande, servira à Albert d'objet contra phobique. Édouard, gueule cassée, se présentera aux autres affublé de masques colorés d'une inventivité de plus en plus débridée et n'aura pour se protéger, lui, que le recours à l'héroïne.
De la même manière qu'il appareille ses personnages, l'auteur ménage son lecteur dans l'approche du réel par la grâce d'un souffle romanesque et d'un style enlevé pétris d'humour et d'érudition, ainsi que par l'architecture de scènes picturales et cinématographiques aux rebondissements inattendus.
Ce roman foisonnant de 567 pages se dévore d'une traite – avec un seul regret, l'avoir jusqu'alors ignoré.
Marie Argouarc'h
ACF-VLB, Quimper