Louise Bourgeois, Le cœur est là (Turning Inwards II), 2008 |
1959, en France, par ces deux mots, « coma dépassé », deux hommes, Maurice Goulon et Pierre Mollaret, vont consacrer le cerveau comme lieu de vie et de mort. L'abolition des fonctions cérébrales atteste désormais de la mort. Et pourtant, le cœur continue de battre, tel le cœur de Simon Limbres, qui, en vingt-quatre heures, va migrer d'un corps à l'autre.
Ce qu'a d'indicible le réel du corps, de la mort, du don, au-delà de l'organe, Maylis de Kerangal nous le donne à voir, à toucher, dans Réparer les vivants[1].
À même ce corps mort, des organes : reins, foie, poumons et un cœur. Moi, mort, je – quel « je » ? – te donne mon cœur. De là où je ne suis plus, mon cœur te parviendra. Et nous, de suivre le cheminement de ce cœur, prélevé d'un corps pour un autre, tout autre, qui jamais ne pourra dire merci.
De ce cœur autre, d'un(e) autre, en lui, Jean-Luc Nancy écrira : « Je le sens bien, c'est beaucoup plus fort qu'une sensation : jamais l'étrangeté de ma propre identité, qui me fut pourtant toujours si vive, ne m'a touché avec cette acuité »[2]. Étrangeté dédoublée à même le corps. Corps que l'écriture de Maylis de Kerangal touche avec une précision et une sensibilité extrêmes.
Tatiana Klejniak
Liège