J'ai 9 ans. Un matin, ma mère me sort brusquement du lit et me fait venir dans la cuisine, un lieu où a priori rien d'inquiétant ne devrait advenir. Je découvre le spectacle de mon père, étendu sur le sol, les yeux ouverts, et la tête à quelques centimètres du poêle à charbon. Est-il mort ? Pendant que ma mère va chercher les secours, je reste là, dos à la fenêtre, muet, figé, happé par cette scène. Mon père est là, brutalement tombé de sa chaise, comme mort.

Mon père ne voulait pas déménager. Du côté paternel, et notamment dans le discours de sa tante, qui était aussi sa mère de substitution, il était inconcevable de quitter le centre-ville de Quimper. Il s'était établi là, quelques années auparavant, à quelques centaines de mètres de là où habitait sa tante, et il n'en bougerait pas, et ce, malgré les demandes incessantes de ma mère – notre appartement étant trop petit. N'en pouvant plus, ma mère fit une demande de logement HLM qui fut très vite accordé.

Il a brutalement quitté la scène familiale ce matin-là, interné en hôpital psychiatrique et reclus dans le silence – et nous avons déménagé le lendemain à 9h. Le surlendemain, me levant d'un bond au moment du réveil, je me jetai hors du lit mais du mauvais côté – celui du mur. À deux doigts d'être assommé, je mis quelques secondes à m'en remettre. Ce coup de tête sera le premier d'une longue série, qui prendra fin au cours de mon analyse. J'appris bien plus tard le secret de mon père : la disparition de sa mère alors qu'il n'avait que 4 ans.

Xavier Bernard
Section clinique de Rennes