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ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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AFFINITÉS
Selva Almada
écrivain
Le premier paragraphe

Entretien réalisé par Christian Ríos

Selva Almada
Selva Almada est née à Entre Ríos en 1973. Elle est l'auteure de nombreuses œuvres, parmi lesquelles Ladrillos (2013), El viento que arrasa (2012), Intemec (récit publié par les éditions électroniques Los proyectos, 2012), Una chica de provincia (2007), Niños (2005) et Mal de muñecas (2003). Ses textes font partie de nombreuses anthologies de nouvelles, parmi lesquelles Die Nacht des Kometen (Alemania, 2010). Elle a été boursière du Fonds National des Arts, codirige le cycle de lectures Carne Argentina [Viande Argentine] et coordonne des ateliers d'écriture à Buenos Aires et à l'intérieur du pays.

Dans le présent entretien, Selva Almada nous transmet son regard particulier sur l'acte d'écrire, nous raconte comment et pourquoi elle s'est approchée de l'écriture, mais aussi les impasses qu'elle a connues, et dans quelle mesure la contingence fait partie de sa manière de nous raconter des histoires. Invitée du Salon du livre 2014 à Paris, son roman El viento que arrasa, traduit en français, vient de paraître aux éditions Métailié sous le titre Après l'orage.

Christian Ríos : Qu'est-ce qui fonctionne pour vous comme cause de l'écriture ?

Selva Almada : Ce n'est pas toujours la même chose. Parfois c'est une anecdote que l'on m'a racontée, ou quelque chose que j'ai vu dans la rue et qui a attiré mon attention. Mais le motif, l'impulsion ne vient pas toujours de la même manière. Ladrillos est venu d'une anecdote que l'on m'a racontée, de manière très sobre et très brève, mais quelque chose là-dedans m'était resté dans la tête. C'était l'idée d'un duel dans un parc d'attractions. Je l'ai gardée longtemps à l'esprit et quelques années sont passées avant que je m'assoie pour l'écrire. Mourir dans un parc d'attractions : cette idée me séduisait. Dans d'autres histoires, c'est autre chose. Par exemple, j'ai pu reprendre et achever l'année dernière un récit que je ne savais pas comment continuer ; le déclencheur avait été quelque chose que j'avais entendu à l'époque des incendies. Parfois, en été, les parcs prennent feu de manière presque spontanée, ou parce que quelqu'un a été imprudent. Les animaux étaient alors tous sortis sur la route, pour échapper aux flammes – je crois que c'était dans le parc El Palmar. Cette image m'avait impressionnée. J'ai commencé ce récit, qui s'appelle « L'incendie », par une scène avec les animaux. De là, a surgit l'histoire qui concerne les personnages et leurs relations. Mais cela est arrivé après cette image qui m'a paru très puissante.

C.R. : Ces anecdotes, ces images, touchent un point qui vous précipite dans l'écriture. Quel est-il ?

S.A. : Je crois que, fondamentalement, c'est l'insolite. Cela pourrait être l'émerveillement et la curiosité. Dans la vie, je ne suis pas une personne qui s'émerveille facilement. Mon compagnon me dit toujours : « Pourquoi affirmes-tu que tu n'aimes pas les sushis si tu n'as jamais essayé ? » Cela ne m'intéresse pas d'essayer, je sais déjà que je n'aime pas ça. Lui pense qu'il faut être curieux et voir. Mais, ma curiosité ou mon émerveillement se portent sur d'autres objets : les images, avec ce qu'elles me racontent de manière fortuite. Je ne vais pas à leur recherche. J'attends et elles apparaissent. Comme si j'étais assise, chez moi, et que je regardais par la fenêtre, sachant qu'à un moment quelque chose va apparaître qui m'interpellera, m'émerveillera et me touchera sur un point très intime, que je ne saurais expliquer, mais qui provoque chez moi l'envie d'écrire ça et de voir où ça me mène. Mais je ne pourrais pas définir quel est ce point. Ni le nommer.

C.R. : Y a-t-il deux moments dans l'écriture : l'impact et le travail ?

S.A. : Oui, totalement.

C.R. : Écrire, pour vous, serait un travail sur l'impact ?

S.A. : Oui, l'écriture est un travail sur ce qui m'impressionne et m'émerveille, ce qui est beaucoup plus ardu que l'impact en soi. C'est alors que commencent à se déployer d'autres choses, un univers. L'anecdote du parc d'attractions concernait un tout petit point, juste un duel. Pour arriver au roman, il m'a fallu une tonne de travail, et d'autres choses qui n'avaient rien à voir. Écrire consiste en un processus de déformation de l'impact original jusqu'à l'obtention d'une histoire, d'un récit. C'est une tentative de revivre cette commotion, mais aussi de la transmettre au possible lecteur, qu'on ne connaît pas en réalité. Alors arrive le travail d'écriture. Évidemment, il faut avoir un peu de talent, mais pour moi l'écriture est fondamentalement un travail. C'est là que commencent les choses compliquées. Je donne beaucoup d'importance au premier paragraphe. Je ne continue qu'à partir du moment où j'ai réussi un premier paragraphe qui me plaise, et dont il me semble qu'il a la force nécessaire pour continuer. Cela peut prendre des semaines. Ce premier paragraphe, au-delà du fait qu'il n'ait rien à voir avec la première image qui m'a impressionnée, je le conçois déjà comme un récit que quelqu'un d'autre va lire. Il doit avoir un impact sur le lecteur et l'inviter à continuer.

C.R. : Ce premier paragraphe doit transmettre quelque chose de cet impact.

S.A. : Bien sûr, dans ce premier paragraphe, il doit y avoir quelque chose de cette commotion.

C.R. : Y a-t-il une nécessité d'écrire lorsque surgit cet impact ?

S.A. : Oui, généralement. Presque toujours.

C.R. : L'impact est-il habituellement quelque chose qui relève de l'urgence ?

S.A. : De l'urgence, non. Car il peut se passer des années avant que je puisse l'écrire, ou que je ressente l'urgence de l'écrire. Ce n'est pas une urgence immédiate.

C.R. : Mais ça c'est là pour être écrit.

S.A. : Bien sûr. Je reviens encore une fois à l'exemple du parc d'attractions. Depuis le moment où l'on m'a raconté l'anecdote, deux ou trois ans se sont écoulés. Mais elle était toujours là.

C.R. : Crois-tu qu'il existe un trait propre à notre époque dans la manière de raconter et d'écrire ?

S.A. : Par exemple, Ladrilleros (Brique) est fille des années 1990, et elle a cette particularité historique que ses deux personnages sont des fils des années 1990 /ou/ Par exemple, les deux types dont parle Ladrilleros sont des fils des années 1990. L'ouvrage relate la misère, les privations, de plus dans des endroits complètement oubliés du gouvernement. Mais Ladrilleros,c'est la réécriture de Roméo et Juliette sur un ton gay. Les histoires que je prétends écrire sont universelles, mais aussi très locales. Ladrilleros est une histoire qui pourrait arriver dans n'importe quel endroit du monde.

C.R. : Oui, mais cette réécriture n'introduit-elle pas quelque chose de nouveau ?

S.A. : Il me semble qu'il n'y a pas beaucoup de thèmes sur lesquels écrire, il y en a trois ou quatre, et ensuite ce qui change c'est l'époque, le contexte. Le langage dans lequel j'ai écrit Ladrilleros n'aurait probablement pas été très accepté au XIXe siècle. C'est peut-être innovant du point de vue de la construction du langage, de la construction linguisitique, même pour mes contemporains, mais je crois qu'au fond nous racontons tous la même chose.

C.R. : Ne voyez-vous pas la différence entre la manière d'écrire des écrivains de votre génération et ceux des générations antérieures ?

S.A. : Je ne vois pas de rupture dans cette époque. Je crois que nous reprenons des traditions et que nous les mettons au goût du jour d'une certaine manière. Par exemple, si je pense aux auteurs dont je suis la tradition, Haroldo Conti ou Daniel Moyano, je n'ai pas l'impression d'être en rupture par rapport à eux. Il y a sûrement une certaine mise à jour. Je ne sais pas s'il y a beaucoup plus à rompre. C'est ce qu'ont fait les avant-gardistes au début du siècle : que peut-il y avoir de plus innovant après ? Rien d'autre que de travailler beaucoup sur le langage, cela peut apparaître comme une évidence quand on parle d'écriture, mais je pense que beaucoup d'écrivains ne le font pas. C'est la seule chose qu'on peut faire lorsqu'on écrit. Je ne crois pas qu'il y ait de possibilité de rompre quoi que ce soit à cette hauteur-là, au mieux on peut recycler. Retourner à des genres déterminés qu'on a cessé de travailler, par exemple le genre « gaucho » ; reprendre des traditions et leur donner un nouvel air. Mais je ne crois pas que quelque chose de nouveau surgisse. C'est pour ça que lorsqu'ils parlent de la « nouvelle narration argentine », je demande : « la nouvelle quoi ? » La narration argentine contemporaine n'est pas nouvelle car la nouvelle parole suppose une rupture. Je ne crois pas que ce soit le cas ni de ce que j'écris, ni de ce qu'écrivent mes contemporains, mes pairs.

Selva Almada
Almada S., Ladrilleros, Mardulce, 2013.
Selva Almada
Almada S., Après l'orage, Métailié, 2014.

Traduction de Perrine Guéguen
Texte édité par Aurélie Pfauwadel