Un réel pour le XXI sciècle
ASSOCIATION MONDIALE DE PSYCHANALYSE
IXe Congrès de l'AMP • 14-18 avril 2014 • Paris • Palais des Congrès • www.wapol.org

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Hervé Castanet
Entretien sur le thème « Un réel pour le XXIe siècle »
réalisé par Anaëlle Lebovits-Quenehen

Anaëlle Lebovits-Quenehen : Comment résonne à vos oreilles le titre de notre prochain congrès de l'AMP, « Un réel pour le XXIe siècle » ?

Hervé Castanet : Selon ma lecture de ce concept, il y a chez Lacan deux occurrences du réel. Il y a d'une part celui qu'il promeut à partir de son texte de 1967 « D'une question préliminaire... » : avec la dévalorisation de la vérité et la promotion du savoir, le réel devient dès lors ce qui se démontre dans le savoir comme une impasse. C'est le réel de la logique, dont Lacan nous fait entendre qu'il n'existe pas au dehors comme un extérieur insupportable et douloureux, mais qu'il est interne à la démonstration et à la vie psychique. Cette dimension logique du réel, qui fait rupture par rapport au premier Lacan et que notre doxa a pu associer à la fin de son enseignement, a toute son importance pour la clinique.

Cependant, la reprise par Jacques-Alain Miller de la fin de l'enseignement de Lacan ouvre sur une autre occurrence de ce concept : par sa relecture il démontre qu'il s'agit ensuite pour Lacan de construire le réel propre à la psychanalyse, et pas simplement le réel interne à la logique. J.-A. Miller insiste sur le fait que ce réel propre à la psychanalyse est le réel de la contingence, qui n'est pas seulement une catégorie logique mais aussi la modalité de la rencontre. Il n'y a de réel pour le sujet parlant qu'en ceci qu'il le rencontre dans la rencontre, notamment entre les sexes. Cette bascule dans l'enseignement de Lacan a, là encore, des conséquences cliniques : l'enjeu n'est plus un réel qui n'aurait de statut que logique, mais un réel où est engagé le corps vivant et parlant de chaque sujet. Cela ouvre sur des perspectives inouïes pour le XXIe siècle. Il ne s'agit plus tant d'insister sur le fait qu'« il n'y a pas de rapport sexuel » – version logique du réel – que sur les rapports singuliers qu'entretient chacun avec le réel du sexe.

A. L.-Q. : Comment articulez-vous le réel lacanien à la question du XXIe siècle ?

H. C. : Pour vous faire une confidence, je n'ai jamais beaucoup aimé le XXe siècle, et je n'étais pas particulièrement intéressé par le début du XXIe. Peut-être parce que j'avais eu dans ma jeunesse des espoirs révolutionnaires qui, s'ils peuvent me faire sourire après coup, avaient alors pour moi un poids certain. L'effondrement du communisme, y compris dans sa version dégradée et politique, a marqué pour notre génération la fin d'un certain idéal. Pourquoi n'aimais-je pas l'époque qui a suivi ? Parce qu'on ne voulait plus y entendre parler du réel. Avec le déclin de l'appareillage idéal du père, l'idéologie était devenue celle d'un monde où tout serait possible, un monde de bisounours – comportant cependant sa face horrible. Mais, grâce à la psychanalyse et à Lacan, tout cela s'est éclairé sous un nouveau jour, ce qui a réveillé mon intérêt. Alors que le père n'est plus l'appareillage qui fait tenir l'idéal, qu'il est même, comme le dit J.-A. Miller, « une plaie » recélant une certaine toxicité, comment repérer le réel là où il n'était plus ? Comment se bricolent des usages de jouissance lorsqu'ils ne sont plus ordonnés par l'Œdipe, le père et les différents dispositifs qui formatent le désir ?

C'est là toute l'actualité du Séminaire VI qui vient de paraître. Je l'avais certes déjà lu il y a trente ans dans la version de l'EFP, mais l'édition de J.-A. Miller fait entrevoir un Lacan qu'on ne soupçonnait pas, pour qui le désir n'est pas épuisé par l'Œdipe, et même d'une certaine façon s'y oppose. C'est ainsi qu'il faut entendre la fin du Séminaire qui valorise la perversion, non pas au sens de la structure freudienne ou des pratiques perverses, mais au sens où le désir va contre tout formatage. Comment chacun bricole et invente une solution au cas par cas ? Voilà qui nous réveille et renouvelle la clinique. Voilà le travail que nous avons à faire en ce début de siècle. Je l'ai fait récemment dans un livre portant sur des hommes homosexuels en analyse et qui, sans être des révolutionnaires ou des militants, bricolent leurs solutions[1]. Ces sujets se sont adressés à l'analyste non pour se plaindre de leur homosexualité ou pour s'en débarrasser, mais au contraire parce que les formatages moralisants ne leur permettaient pas de répondre aux véritables questions qu'ils se posaient : que désiraient-ils ? De quelle façon le désiraient-ils ? Et comment, par ce biais, pourraient-ils inventer ou « bricoler »[2], c'est-à-dire créer du nouveau, même très modestement ? À l'heure où certains pays interdisent ou condamnent l'homosexualité, et où en France l'extrême droite et une partie de la droite descendent dans la rue pour contester le mariage pour tous, les nouveaux bricolages de jouissance, parce qu'ils ne font pas l'économie d'un réel, excèdent tous les dispositifs de formatage. Ainsi l'Œdipe, bien qu'il ait son utilité et son efficience – pour reprendre un terme classique, il permet de ne pas être fou – n'épuise pas la question du désir. Au XXIe siècle, on pourrait d'ailleurs appeler réel tout ce qui n'est pas épuisé par l'Œdipe et les signifiants-maîtres.

A. L.-Q. : Mais bricoler quelque chose qui permette de surmonter le non-rapport sexuel ne suppose-t-il pas d'avoir identifié un point de réel auquel référer ce bricolage ?

H. C. : Absolument. Les fictions que nous inventons, et que par exemple le fantasme vient condenser, sont des dispositifs qui, bien qu'offrant un point de vue sur le réel, tendent à le recouvrir – laissant souvent le sujet dans l'ignorance. Pour qu'il y ait un bricolage possible, faut-il encore que le sujet fasse l'hypothèse qu'il y a un réel et non pas le réel. Nous avons vu que le réel est une catégorie logique, une formulation beaucoup trop généraliste, tandis qu'un réel permet de saisir le réel propre à la psychanalyse en tant que sans loi. La formulation « bouts de réel » fait quant à elle entendre que ce réel ne peut s'unifier sous une seule catégorie – contrairement à l'imaginaire ou au symbolique qui peuvent faire croire à une possible unification. Dans son Séminaire XI Lacan parlait – sans moralisation aucune – du point de « saloperie » propre à chacun, point dont le sujet ne veut rien savoir et à partir duquel ses fictions se sont construites. Mais déjà dans son Séminaire IV, il évoquait les « débris métonymiques » de l'objet. Quelque chose a volé en éclats. Comment dès lors identifier ces éclats de réel et trouver des bricolages au un par un ?

A. L.-Q. : Hervé Castanet, je vous remercie.


Transcription et édition : Alice Delarue

  1. Cf. Castanet H., Homoanalysants, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2013.
  2. Pour reprendre le terme utilisé par Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage.